La communication part de l’expérience d’une thèse portant sur l’appropriation des littoraux lacustres dans les Alpes. Très convoités pour leurs aménités, ils sont occupés sur de longs linéaires par des villas « pieds dans l’eau » qui privatisent l’accès au lac (Nikolli, 2019). Un tel sujet aurait pu me conduire à être confrontée aux propriétaires de ces villas. Malgré une relative hétérogénéité sociale, ceux-ci peuvent être considérés comme des « acteurs imposants » (Chamboredon et al., 1994) du fait de leur capital économique et du capital symbolique associé à ce type de biens immobiliers prestigieux (Bourdieu, 1993). Certains d’entre eux sont même issus des fractions supérieures des classes dominantes (familles royales, grands patrons…). Or, je ne leur ai ménagé qu’une place très limitée et indirecte dans ma méthodologie, que j’ai centrée au contraire sur l’objectivation cartographique de la privatisation et sur une enquête auprès des acteurs publics et associatifs œuvrant à la « reconquête » des rives. Dans cette communication, je propose d’analyser ces choix en partie inconscients, en tentant de faire la part entre habitus disciplinaire (entrée par l’espace et non par les stratifications sociales), arbitrages scientifiques (délimitation du sujet, posture critique plus ou moins assumée), stratégies d’économie d’énergie face à des obstacles objectifs (acteurs difficiles d’accès, sujet polémique) et effets d’autocensure liés à la grande distance sociale me séparant de ces acteurs (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1991). Plus globalement, il s’agira d’en interroger la portée épistémologique et « éthico-politique » (Ripoll, 2018 : 596). Car malgré le choix très explicite, au cours de la thèse, de ne pas me positionner comme activement militante, il me semble rétrospectivement que l’option méthodologique de contourner les dominants a finalement facilité la production et la diffusion de connaissances potentiellement utiles à la lutte contre la privatisation. (Communication présentée dans le cadre de la session « Faire une géographie des dominants : enjeux méthodologiques et épistémologiques » organisée par F. Opillard et C. Nicolas-Artero)