Extradition, accès à la justice et indemnisation Le 9 avril 2024, l'Assemblée plénière du Tribunal constitutionnel espagnol a rendu une décision par laquelle l'amparo a été accordé à un certain M. Ali Aarrass, ressortissant belgo-marocain, lui reconnaissant, notamment, le droit de la demande d'amparo à la protection judiciaire effective (article 24, paragraphe 1 de la Constitution espagnole), en relation avec son droit de ne pas être soumis à des tortures ni à des traitements inhumains et dégradants (article 15 de la Constitution espagnole). Une première victoire pour un homme qui se bat depuis plusieurs années maintenant, pour faire reconnaître à l'État espagnol sa responsabilité pour les violences et mauvais traitements qu'il aurait subis lors de sa détention au Maroc, conséquence de son extradition du 14 décembre 2010. En effet, même si cette décision ne permet pas à M. Aarrass de faire droit à sa demande d'indemnisation par l'État espagnol pour les dommages et préjudices subis lors de sa détention au Maroc, elle lui permettra de retourner devant les tribunaux ordinaires pour faire constater l'atteinte éventuelle à ce droit, lui ouvrant les portes de l'indemnisation. Pour autant, nous le constaterons, l'octroi de l'amparo était loin d'être évident au vu de la dissidence d'opinion régnante au sein des membres de la juridiction constitutionnelle espagnole 1 . Mais avant d'aborder ces points, il est bon d'opérer pour les lecteurs une recontextualisation d'une affaire complexe objet de présent recours d'amparo. Au cours des années 2008 et 2009, M. Ali Aarrass fit l'objet de plusieurs décisions de justice émanant de l'Audiencia Nacional venant déclarer la recevabilité de son extradition. Extradition demandée quelques mois plus tôt par l'Ambassade du Maroc en Espagne, le 22 avril 2008 ; les autorités marocaines suspectant ce dernier d'activités terroristes. Ne voulant pas en resterlà, M. Aarrass -estimant que l'appréciation du risque de tortures et de mauvais traitements au sein des prisons marocaines n'ayant pas été concrètement prise en compte-dirigea plusieurs recours à l'encontre de certaines de ces décisions de justice, notamment un recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel espagnol et une requête individuelle devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Ces deux recours seront déclarés irrecevables : le premier faute d'« importance constitutionnelle spéciale » 2 ; le second faute du respect des conditions établies par l'article 34 de la Convention européenne des droits de l'Homme en ajoutant, qu'en dépit de cela, il ne pouvait être constaté un risque pour le requérant de tortures ou de traitements inhumains et dégradants en cas d'extradition au Maroc. Les lecteurs s'en douteront, tel ne fut pas l'avis de M. Aarrass qui adressa une communication au Comité des droits de l'Homme des Nations Unies le 25 novembre 2010. Le Comité y répondit en exigeant de l'État espagnol qu'il y ait une suspension de la procédure d'extradition le temps de l'examen de la communication. Or, les autorités judiciaires et gouvernementales espagnoles ne lui accordèrent pas cette suspension, ainsi il sera extradé le 14 décembre 2010. Cependant, l'affaire n'en resta pas là. Le 21 juillet 2014 ce même Comité répondit par un avis à la communication de M. Aarrass, en appréciant que l'État espagnol avait fait une mauvaise interprétation des risques éventuels de tortures et de traitements inhumains et dégradants et, par conséquent, avait violé l'article 7 du Pacte international des droits civils et politiques. Il ne s'agit que d'un avis, donc en principe dénué de force juridique exécutoire, pour autant le requérant y verra une aubaine pour faire valoir son droit à la réparation des dommages subis auprès des juridictions espagnoles. Juridictions qui ne feront pas droit à sa demande. Effectivement, la Troisième Section de la Chambre du Contentieux-Administratif de l'Audiencia Nacional est venue confirmer, par une auto du 2 février 2018, la décision implicite de rejet du Ministère de Justice de la demande de responsabilité patrimoniale pour fonctionnement anormal de l'administration de la justice, incluant une demande d'indemnisation de plus de trois millions d'euros, formulée par le requérant. La Chambre, estimera, entre autres arguments, qu'en plus de ne pas se trouver face à un cas de fonctionnement anormal de l'administration de la justice, l'avis du Comité ne peut prétendre revêtir