Lourdes

Le texte proposé ci-dessous est suivi d’une approche différenciée insérée à la fin après la bibliographie.

Érigée, dans la seconde moitié du XIXe siècle, en lieu de culte dédié à la Vierge Marie, la ville de Lourdes, située sur le piémont pyrénéen, s’est rapidement imposée comme un centre majeur de pèlerinage pour les Catholiques du monde entier, recevant de ce fait des flux de visiteurs internationaux. Malgré quelques périodes de repli dues à la conjoncture internationale (guerres mondiales, crises économiques), la destination a consolidé sa position durant le XXe siècle. Transporteurs, hébergeurs, restaurateurs, commerçants, etc. ont contribué à la pérennisation d’un système touristique mis en place au XIXe siècle pour tirer un bénéfice économique des Apparitions. À partir des années 2000, le tourisme lourdais commence cependant à montrer des signes d’essoufflement. Faiblement diversifié, très dépendant de flux internationaux et souffrant de faiblesses structurelles, celui-ci a été fortement affecté par la crise de la COVID-19, laquelle a révélé et amplifié des problèmes latents depuis au moins deux décennies. Cette crise permettra-t-elle d’enclencher un mouvement vertueux de redynamisation de la destination ?

«Lourdes a bien pris, mais le tout est de savoir si ça durera longtemps» écrivait Zola dans le premier volet de sa trilogie intitulée Les trois villes: Lourdes, Paris, Rome (1893-1898) s’interrogeant déjà sur la pérennisation d’un système lourdais construit sur la base des apparitions de la vierge à une jeune bergère, Bernadette Soubirous. En dépit des craintes exprimées par le romancier, ce dernier a su faire preuve de résilience (ou de résistance ?) face aux différentes crises du XXe siècle (conflits mondiaux, crises économiques, etc.). Toutefois, à partir des années 2000, le tourisme lourdais commence à faire face à des difficultés: la fréquentation stagne, le taux d’occupation hôtelière est en berne et les fermetures d’établissements sans reprise croissent au point de se demander si Lourdes ne serait pas entrée alors dans la phase d’obsolescence du produit touristique caractérisée, selon Chadefaud (1987), par une double dégradation de «l’offre matérielle» (équipements, infrastructures) et «de l’offre immatérielle» (valeurs et représentations attribuées à l’espace de visite), à l’origine de la marginalisation progressive de ce lieu touristique. En déclin sensible avant même la pandémie mondiale, le tourisme lourdais a été profondément ébranlé par la crise sanitaire avec une année 2020 quasiment blanche du fait de l’arrêt brutal de l’arrivée des clientèles internationales et de l’interdiction des grands rassemblements (Jarraud et al., 2021). Néanmoins, ne peut-on pas considérer cette «crise» comme un «moment indécis et décisif» pour Lourdes, lui offrant une «possibilité d’action, de décision, de changement, de transformation» (Morin, 2010: p. 177) ?

Une commune du piémont pyrénéen en déclin

Située dans le département des Hautes-Pyrénées, Lourdes est une commune de 13 132 habitants (INSEE, RP 2019) à la population en déclin continu depuis 1968 (figure 1) sous l’effet d’un solde naturel et d’un solde migratoire tous deux négatifs (INSEE, RP 1968 à 2017). De 2013 à 2019, le taux d’accroissement moyen annuel de la population a été le plus négatif depuis 1968: -1,8 % alors que, dans le même temps, le département enregistrait un léger gain de population (0,1%) du fait d’un solde migratoire positif (INSEE, RP 1968 à 2019). En baisse, la population est également de plus en plus vieillissante: les moins de 30 ans représentent moins de 24% de la population lourdaise en 2019 (29 % de la population du département) et leur part s’est réduite depuis 2013 (28 %) ; à l’inverse les plus de 60 ans représentaient 33,86 % de la population lourdaise en 2013 et plus de 40 % de la population lourdaise en 2019 (INSEE, RP 2013 et 2019). Le taux de chômage y est plus élevé que dans le reste du département: 17,6 % à Lourdes contre 13,5 % dans les Hautes-Pyrénées, en 2019 et en croissance par rapport à 2013 (16,7 %) ce qui témoigne d’une dégradation de la situation économique de la commune. Lourdes représente donc une commune répulsive dans un département plutôt attractif ce qui se traduit aussi par un taux de logements vacants très élevé et en croissance continue entre 2008 et 2019, passant de 10,4 % à 18,1 % entre ces deux dates (alors que la moyenne départementale s’établissait à 9,6 % en 2019, selon l’INSEE).

Élaboration propre d’après INSEE, RP 2008, 2013 et 2019

Lourdes est donc une destination touristique paradoxale. En effet, l’attractivité touristique, réelle, ne s’y accompagne pas d’une attractivité résidentielle. La situation démographique de la ville est difficile: à la vacance de logements s’ajoute celle de commerces et hôtels, le parc de résidences secondaires est limité à 12% du parc total de logements, en 2019, selon l’INSEE (soit bien moins que la moyenne départementale: 23,4 %). Pourtant Lourdes dispose d’un important parc d’hébergements marchands (23 450 lits au 01/01/2021 dont près de 85 % correspondent à des lits hôteliers, selon l’INSEE). Le taux de fonction touristique y est donc élevé (plus de 216 lits pour 100 habitants) et plus de la moitié des actifs a un emploi dans le secteur du commerce et des services en lien avec cette spécialisation marquée dans le tourisme. Bien qu’en crise Lourdes demeure en effet un centre majeur de pèlerinage pour les Catholiques du monde entier.

Un haut-lieu touristique construit au XIXe siècle à la faveur des Apparitions

En effet, Lourdes s’est progressivement affirmée, dans la seconde moitié du XIXe siècle comme un haut-lieu du tourisme religieux, haut-lieu au sens de lieu singulier, éminent et plus grand que les autres du fait de la valeur symbolique qui lui est attribué et de la reconnaissance sociale dont il jouit, lieu exemplaire ou du moins construit «pour l’exemple», «templum» constitué en «opposition à l’espace profane ordinaire» (Micoud, 1994: p. 12). Son attractivité ne doit rien au hasard, mais à l’effort conjugué de nombreux acteurs – religieux et profanes, privés et publics – pour faire des Apparitions de 1858 le terreau d’un nouveau «produit touristique». En effet, «Lourdes n’est, pas un fait isolé dans les annales des Pyrénées» ; c’est un centre de pèlerinage surgi tardivement, ne constituant «ni une exception, ni une nouveauté» par rapport à des sanctuaires pyrénéens plus anciens (Huysmans, 1906: p. 9). Il bénéficie cependant d’un contexte, local et national, favorable et tire profit de l’arrivée du chemin de fer, en 1866. Le train contribue à l’augmentation rapide de l’audience du pèlerinage lourdais. En 1873, la gare de Lourdes recensait 216 trains spéciaux ayant permis d’acheminer 140 000 pèlerins, provenant de 47 diocèses (Chadefaud, 1987).

Aux pèlerinages locaux et spontanés, foisonnants dans les Pyrénées au XIXe siècle, se substitue progressivement un pèlerinage marial lourdais, national et bientôt international avec la mise en place des premiers pèlerinages étrangers depuis l’Allemagne et la Belgique, en 1875, puis le Portugal, l’Italie du nord et l’Espagne, en 1877 (Chadefaud, 1987). En 1876, le Pape Pie IX reconnaît l’importance du pèlerinage de Lourdes avec le Couronnement de la Vierge ; en cette année exceptionnelle, Lourdes accueille 500 000 pèlerins au prix d’un «effort de propagande considérable» (Zola, 1995 [1894]: p. 141). Si d’une année à l’autre, les flux varient en fonction de la conjoncture, la tendance globale est à l’augmentation de la fréquentation de la cité mariale qui, en 1908, année du cinquantenaire, reçoit plus d’un million de pèlerins venus pour la plupart dans l’un des 525 trains spéciaux affrétés pour l’occasion (Chadefaud, 1987). À ces individus mus par la foi et souvent l’espoir d’une guérison miraculeuse, s’ajoutent les touristes et les curieux qui, en dehors des «voyages organisés», visitent Lourdes durant leur villégiature dans les stations thermales proches. Lourdes s’affirme donc, dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme un centre de pèlerinage international (Rinschede, 1992).

Ces déplacements de masse et sur de longues distances, dans des trains affrétés spécialement pour conduire les pèlerins à Lourdes, ne peuvent plus être improvisés ; ils requièrent une organisation d’autant plus rigoureuse qu’ils transportent de très nombreux malades: «C’étaient les hôpitaux roulants des maladies désespérées, la ruée de la souffrance humaine vers l’espoir de la guérison, un furieux besoin de soulagement, au travers des crises accrues, sous la menace de la mort hâtée, affreuse, dans une bousculade de cohue» (Zola, 1995 [1894]: p. 49‑50). Ces convois singuliers induisent donc le rapprochement des autorités ecclésiastiques et des entreprises privées pourvoyeuses de moyens de transport (comme la Compagnie de chemin de fer du Midi) et d’hébergements. Les fondements du système lourdais sont en train de se construire.

Vue plongeante sur Lourdes depuis la Basilique Notre-Dame du Rosaire, © S. Clarimont, 27/03/2021

Une organisation spatiale de la destination autour d’un lieu sacré:le sanctuaire

Les flux touristiques et religieux qui se déploient à Lourdes, notamment à l’occasion des grands pèlerinages, ont largement contribué à structurer l’espace (Figure 2). Cette fabrique des lieux a abouti à la constitution d’une ville duale et au déclassement de la «vieille ville» face à la «ville neuve»: «cette ville poussée si vite, de l’autre côté du château, cette riche cité aux maisons grandes comme des palais, où allait toute la vie, tout le luxe, tout l’argent, de sorte qu’elle grandissait et s’enrichissait sans cesse, tandis que l’aînée, l’antique ville pauvre des montagnes, achevait d’agoniser, avec ses petites rues désertes, où l’herbe poussait» (Zola, 1995 [1894]: p. 284). L’organisation duale de l’espace, soulignée par Zola dès 1894, est toujours perceptible ; la frontière reste nette entre la ville haute réservée aux Lourdais où les signes religieux ne sont guère présents et la ville basse fréquentée par les fidèles dans laquelle l’espace public est caractérisé par la présence du religieux (figure 3). Par ailleurs, l’espace du religieux n’est pas fréquenté uniquement par des fidèles, il l’est aussi par des touristes ordinaires visitant Lourdes comme une «curiosité» ce qui conduit à une hybridation des pratiques (Chadefaud, 1981 ; Chevrier, 2013).

Cet espace du sacré est désigné sous le nom de «sanctuaire»: espace circonscrit dédié au culte, investi d’une valeur sacrée et destiné à accueillir les fidèles s’y rendant en pèlerinage (Chevrier, 2016). Ce sanctuaire est composé de deux grands types de lieux: les lieux centraux (grotte, basilique, chemin de croix) et les lieux connexes. Le cœur est ainsi constitué de trois basiliques et deux églises, érigées entre 1862 et 1988, sur un domaine de 52 hectares entourant la grotte de Massabielle et racheté à la Ville par l’Épiscopat (figures 2, 3 et 4). Le sanctuaire compte un total de 22 lieux de culte, de telle sorte que plusieurs messes puissent être faites en même temps. En période de forte affluence, les messes sont célébrées partout «sur des autels improvisés de planche ; il y en a en haut jusque dans la galerie des grandes orgues ; et les prêtres s’assistent les uns les autres, et l’aide nettoie, après la communion, le calice, à la place de l’officiant (…). Et il en est ainsi dans la basilique, dans la crypte, dans l’église du village, dans les couvents, partout où l’on peut dresser des simulacres d’autels ; c’est un moulinet de messes-express», «un service accéléré des messes» (Huysmans, 1906: p. 126 et 185). Aujourd’hui encore, les messes peuvent être célébrées simultanément, dans de nombreuses langues, par un prêtre accompagnant le pèlerinage, ou par l’un des prêtres internationaux œuvrant au sein du sanctuaire.

Figure 3 : L’organisation spatiale de l’espace lourdais. Inventaire Nathalie Jarraud 2020, OpenStreetMap 2021, D.Montagne, UPPA E35 UPPA, CNRS, TREE, Pau, France 2021

Figure 4 : La grotte de Massabielle, en temps de pandémie, © S. Clarimont, 27/03/2021

Une multiplicité des pratiques

Les activités des pèlerins à Lourdes se concentrent dans les lieux emblématiques de la cité mariale, situés dans la ville basse, parmi lesquels la grotte de Massabielle (figure 4). Même si les pratiques varient, elles comprennent toujours certains des gestes les plus importants qui caractérisent l’esprit de Lourdes et qui n’ont guère changé en un siècle. Prières, communions, confessions, chapelets et autres gestes de foi courants sont accomplis dans tous les lieux de culte du sanctuaire.

Les rites liés à l’eau jouent un rôle majeur dans la pratique du pèlerinage lourdais, dès ses origines. L’eau de Lourdes est, au XIXe siècle, déclarée «banale» (à la différence des eaux médicinales des stations thermales pyrénéennes qui connaissent alors un vif succès) ; mais de ce fait même elle devient «surnaturelle» puisque la guérison ne peut s’expliquer scientifiquement par sa composition physico-chimique. Non sans ironie, Zola et Huysmans considéraient que l’immersion dans une eau de qualité douteuse «devenue un hideux bouillon, une sorte d’eau de vaisselle grise», au mépris des règles les plus élémentaires d’hygiène, constituaient sans doute le «miracle permanent» de Lourdes (Huysmans, 1906: p. 64). L’engouement pour l’eau de Lourdes ne s’est pourtant pas tari. En 2019, onze piscines – interdites à l’immersion depuis la COVID-19 et maintenant réservées au «geste de l’eau» – étaient dédiées aux femmes tandis que six étaient réservées aux hommes. Avant la pandémie, environ 400 000 personnes s’y rendaient chaque année pour se baigner. Les pèlerins attendaient souvent des heures pour avoir la possibilité de s’immerger dans cette eau. S’ils n’avaient pas la possibilité d’entrer aux piscines, les pèlerins pouvaient –et peuvent encore– se procurer de l’eau et boire aux fontaines situées à proximité de la grotte (figure 5).

Pèlerins se pressant devant les fontaine pour remplir divers récipients d’eau, lors de la fête du rosaire, © S. Clarimont, 13/10/2023

Une autre coutume essentielle à Lourdes consiste à toucher le rocher de la grotte des apparitions. Le contact physique fait partie intégrante de toute pratique d’un pèlerinage (Dupront 1987). Là encore, la file d’attente est souvent longue pour avoir ce privilège. Les rites liés à la lumière ne sont pas en reste. Le spectacle de ces milliers de cierges en combustion suscite la fascination des visiteurs: «Seule la splendeur de la Grotte l’éblouissait, cent mille cierges lui semblaient brûler là, derrière la grille, emplissant d’un éclat de fournaise l’ouverture basse, mettant dans un rayonnement d’astre la statue de la Vierge, posée, plus haut, au bord d’une excavation étroite, en forme d’ogive.» (Zola, 1995 [1894]: p. 175). La vente de cierges représente un réel négoce (Huysmans, 1906). Un grand choix de cierges est aujourd’hui encore mis à disposition des fidèles, au sein d’une «chapelle de lumière», érigée en 2017 et constituée de différents pavillons faits de bois et de métal. La lumière est aussi en mouvement lors des processions qui ont lieu chaque soir depuis le XIXe siècle. D’avril à octobre, à 21 heures, les pèlerins se rassemblent pour marcher en procession, suivant un itinéraire précis au sein du sanctuaire. Zola évoquait déjà, à la fin du XIXe siècle, le «continuel émerveillement» de «la marche ininterrompue de ce serpent de feu» (Zola, 1995 [1894]: p. 299). L’hybridation des pratiques religieuses et profanes, à Lourdes, amène de nombreux visiteurs à assister à la cérémonie sans se joindre à la procession. Parcourir le chemin de croix constitue également une expérience courante, tant pour les pèlerins que pour les autres visiteurs. L’itinéraire principal, élaboré entre 1901 et 1912 sur la colline des Espélugues, est composé de quatorze stations qui commémorent la Passion du Christ. En 1958, une quinzième station a été ajoutée, celle de la Résurrection du Christ. Ce parcours n’étant pas accessible en fauteuil roulant, un second chemin de croix de 17 stations a été aménagé derrière la chapelle des lumières dans les années 2000.

Si ces gestes de foi sont circonscrits à l’espace du sanctuaire, à la «ville sainte», ils s’accompagnent d’autres formes de pratiques touristiques qui débordent ce périmètre étroit: visites de lieux connexes «sur les pas de Bernadette», du moulin de Boly au village de Bartrès en passant par l’église paroissiale, le cachot et l’hospice, pour contempler les principaux lieux qui ont marqué la vie de la jeune bergère. Enfin l’achat d’objets religieux dans les commerces installés dans les rues jouxtant le sanctuaire s’étend aujourd’hui à un périmètre plus vaste. La gamme de souvenirs s’élargit à des objets sans connotation religieuse proposés à ces pèlerins et curieux qui se pressent à Lourdes, d’avril à octobre, venant du monde entier, souvent par voie aérienne.

Du train à l’avion: une évolution des moyens de transport utilisés pour rejoindre la destination

Le train qui a fait la fortune de Lourdes dans la seconde moitié du XIXe siècle, va demeurer pendant près d’un siècle le mode de transport privilégié par les pèlerins pour se rendre à Lourdes, progressivement concurrencé par l’autocar et l’avion. Les archives municipales de 1932 ne mentionnent alors que deux moyens d’accès: le chemin de fer, distinguant les trains spéciaux des trains ordinaires, et la route, différenciant les voyages organisés en autocar des voyageurs individuels en voiture. Les archives municipales de 1951 indiquent que le train demeure le moyen d’accès privilégié (53,9% des arrivées) même si la place de la route s’est renforcée (46 % des arrivées) et que l’avion fait son apparition (0,1% des arrivées).

Cette place prépondérante du train va s’éroder progressivement durant la seconde moitié du XXe siècle au profit de l’avion. En effet, la circulation des trains spéciaux va être considérablement réduite. En 2014, l’intégralité des trains Corail est remplacée par les TGV. Deux ans plus tard, les trains de nuit sont supprimés, puis remis en service partiellement, en décembre 2021. Parallèlement, l’avion s’impose comme un moyen de transport majeur. L’aéroport d’Ossun, à une dizaine de kilomètres de Lourdes, est en voie d’achèvement lorsque les premiers avions en provenance de Belgique arrivent, en mai 1948 (Chélini et Branthomme, 1982). Aujourd’hui, avec l’arrivée de lignes aériennes low cost, des vols directs relient Lourdes à Rome, Milan, Naples, Palerme, Londres, Dublin, Bruxelles, Cracovie, Malte et Paris. Il est cependant impossible, faute de statistiques détaillées, de savoir précisément le moyen de transport utilisé par les visiteurs de Lourdes. Même si des chiffres sur le trafic aérien ou ferroviaire sont disponibles, ils correspondent à un nombre total de passagers accueillis à Tarbes Lourdes Pyrénées quelles que soient leurs destinations finales et leurs motivations, pèlerinage ou autre type de pratique. En outre, d’autres aéroports, ceux de Bordeaux ou Toulouse, plus éloignés, mais à la desserte bien supérieure, peuvent également être utilisés par les pèlerins pour se rendre à Lourdes. En dépit de données précises, le trafic passagers de l’aéroport de Tarbes Lourdes Pyrénées semble cependant grandement tributaire des flux de pèlerins. Ce trafic s’est effondré, en 2020 et 2021: 121 996 passagers accueillis en 2021, soit une chute de près de 74% par rapport à 2019, selon les bulletins statistiques de la DGAC.

Obsolescence, crise et… renouveau de la destination Lourdes-Pyrénées ?

En effet, la pandémie de la COVID-19 a entraîné un arrêt complet des déplacements, touchant plus particulièrement le secteur du tourisme et donc l’économie lourdaise. Alors que le Sanctuaire accueillait 522 720 pèlerins en pèlerinage organisé en 2019, auxquels s’ajoutaient environ 500 000 pèlerins individuels, seuls 25 000 pèlerins avaient fait le voyage à Lourdes, en 2020, en pèlerinage organisé. La très forte spécialisation de la destination dans le tourisme religieux l’a rendue d’autant plus vulnérable à la crise que les visiteurs accueillis à Lourdes sont principalement des personnes âgées, malades et étrangères. Avec les restrictions des déplacements (a fortiori internationaux) et l’interdiction stricte des grands rassemblements, les mesures sanitaires imposées par la pandémie ont fortement ébranlé le système lourdais et la réponse apportée par le Sanctuaire a suscité de vifs débats parmi les professionnels du tourisme lourdais. En effet, face à l’impossibilité d’accueillir les pèlerins, le Sanctuaire a proposé la mise en ligne de pèlerinages virtuels et de prières via internet et les réseaux sociaux afin de rester «connecté» à ses pèlerins. Il s’est doté d’équipements performants et a créé une offre évènementielle exclusivement virtuelle, tels que Lourdes United qui a eu lieu le 16 juillet 2020, date anniversaire de la dernière apparition. Création d’un plateau télé, rediffusion via les chaines de TV étrangères, mobilisation via YouTube et transmission sur les réseaux sociaux ont contribué au succès de ce nouveau mode de rassemblement qui perdure aujourd’hui. Cependant, la diffusion de cette nouvelle offre en ligne est loin de faire l’unanimité, notamment parmi les hôteliers et ne permet pas de pallier la baisse de fréquentation.

En effet, si la pandémie a durement frappé une destination fortement dépendante de flux de pèlerins internationaux, avant même la crise sanitaire de 2020, Lourdes était déjà en difficulté sans doute du fait d’un relatif immobilisme dans un monde en mouvement. En effet, un siècle après la publication du roman de Zola, le fonctionnement de Lourdes n’a guère évolué et la destination souffre d’une certaine obsolescence ; elle semble en décalage avec la sécularisation de nos sociétés et les évolutions des comportements touristiques actuels. Cela se traduit notamment par une tendance à la baisse de la fréquentation et une réduction de la capacité d’accueil avec un net recul de l’hébergement marchand.

L’étude de la fréquentation de Lourdes affiche clairement un nombre de nuitées en diminution depuis le début des années 2000, à l’exception du pic de fréquentation 2008 (plus de 4 millions de nuitées) dû au Jubilé célébrant le 150ème anniversaire des Apparitions et honoré par la visite du Pape Benoit XVI (figure 5). Juste avant la pandémie, en 2019, Lourdes comptait 789 617 arrivées totalisant 2 142 383 nuitées hôtelières (données INSEE), l’hôtellerie étant le mode d’hébergement le plus usité par les visiteurs de Lourdes. Dans le département des Hautes-Pyrénées, Lourdes occupe une place essentielle avec des nuitées hôtelières qui représentent 75% de celles du département et 94% si l’on ne considère que les nuitées étrangères. Lourdes est une destination à la saisonnalité marquée dont la fréquentation fluctue au rythme du calendrier des pèlerinages, avec une activité qui bat son plein de Pâques en mars-avril jusqu’aux Rameaux au mois d’Octobre. Le reste du temps, la ville est comme à l’arrêt, excepté aux alentours du 11 février, date anniversaire de la première apparition de la Vierge Marie à la jeune Bernadette, semaine pendant laquelle la ville reprend vie. L’économie de la destination est tributaire de ces pulsations saisonnières caractérisées par la venue de pèlerins majoritairement étrangers.

Fréquentation de Lourdes en nombre de nuitées hôtelières. Élaboration propre à partir des données de l’INSEE

En effet, Lourdes accueille une majorité de pèlerins étrangers. En 2018, 63% des nuitées étaient le fait de visiteurs internationaux, en large part européens (figure 6). La première nationalité européenne demeure l’Italie qui représente un tiers des nuitées internationales tandis que les États-Unis se placent en tête des nuitées extra-européennes avec 4,54 %.

Part des nuitées étrangères supérieures à 2% en 2018. Élaboration propre à partir des données de l’Office de Tourisme de Lourdes

L’hôtellerie demeure le mode d’hébergement dominant à Lourdes: en 2019, 74% des nuitées y étaient réalisées dans des établissements hôteliers. Cependant, le secteur hôtelier est en difficulté avec de nombreuses fermetures ou concentrations d’établissements au cours des 20 dernières années (figure 7).

Nombre d’hôtels à Lourdes entre 2000 et 2023. Élaboration propre à partir des données de l’Office de Tourisme de Lourdes.

Ce chiffre ne traduit pas seulement la disparition des établissements les plus vétustes (Figure 8), mais également des regroupements d’hôtels, car durant la même période, le nombre de chambres est passé de 15 225 à 9 483, soit une baisse de «seulement» 37,7%. Au cours des dix dernières années, la qualité de l’hôtellerie semble s’être relativement améliorée (même si les chiffres sont à interpréter avec prudence du fait de l’évolution des normes et critères de classement) avec un net recul du nombre de chambres en hôtels non classés ou classés 1 étoiles (-25%) et une progression du nombre de chambres classées 4 étoiles (15 %) sans que cela débouche pourtant sur une amélioration significative du taux d’occupation hôtelière (figure 9). En effet, ce dernier reste bas, proche de 50% (50,9% en 2018 et 47,5% en 2017, selon les données HPTE), le plaçant parmi les plus bas de France, le taux national moyen étant de 62,5% (Coach Omnium, 2018).

Ancien hôtel lourdais fermé de longue date, © S. Clarimont, 27/03/2021

Évolution de la répartition des chambres par catégorie d’hôtels, entre 2013 et 2023. Élaboration propre à partir des données INSEE (base communale tourisme)

Fortement dépendant d’une forme singulière de tourisme organisée par, pour et autour du sanctuaire, le système touristique lourdais présentait des signes de déclin dès le début des années 2000, bien avant la crise de la COVID-19. La nouvelle municipalité, élue en 2020, tente de mettre en œuvre une stratégie nouvelle de diversification de la clientèle et de repositionnement touristique de la destination en tant que porte d’entrée vers les Pyrénées (Jarraud et al., 2022). Ce repositionnement touristique se concentre sur une clientèle de touristes qui viendraient à Lourdes pour la montagne, les grands espaces et le sport, notamment le cyclisme, par opposition à une clientèle de pèlerins quasi exclusivement dédiée au tourisme religieux. En outre, il vise à attirer une clientèle «d’individuels» en parallèle du tourisme «organisé et de groupes» qui fait la spécificité de Lourdes.

Si les objectifs principaux de diversification de la clientèle, de repositionnement touristique et développement économique avaient déjà été identifiés dans la Stratégie de développement touristique du Grand Site de Lourdes (2014-2020), fortement encouragée par l’ancienne Région Midi-Pyrénées, ils ne s’étaient pas vraiment traduits pas des effets tangibles. Peut-être l’actuelle stratégie «Lourdes, cœur des Pyrénées», plus ambitieuse et articulée au Plan Avenir Lourdes (initié en 2022 et mis en œuvre en collaboration avec l’État, dans le cadre du Plan de relance), saura-t-elle amorcer une réelle transition du tourisme lourdais.

Sylvie CLARIMONT et Nathalie JARRAUD

Bibliographie

  • Chadefaud Michel, 1987. Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour, du mythe à l’espace : Un essai de géographie historique. Dép. de géographie et d’aménagement de l’Université de Pau et des pays de l’Adour, Centre de recherche sur l’impact socio-spatial de l’aménagement, U.A. 911, C.N.R.S.
  • Chélini Jean, et Henry Branthomme. 1982. Les chemins de Dieu : histoire des pèlerinages chrétiens des origines à nos jours. Paris, Hachette littérature générale.
  • Chevrier Marie-Hélène, 2013, «Pèlerinage et pratiques spatiales à Mexico et à Lourdes : entre familiarité et altérité», Carnets de géographes, UMR 245 – CESSMA, N°6, https://doi.org/10.4000/cdg.847.
  • Chevrier Marie-Hélène. 2016, «Le pèlerinage à l’heure de la sécularisation: dilution ou cristallisation du sacré dans l’espace ?», L’Information géographique, n°1/Vol. 80, p. 105-129, https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2016-1-page-105.htm
  • Dupront, Alphonse, 1987. Du sacré: croisades et pèlerinages, images et langages. Bibliothèque des histoires. Paris, Gallimard.
  • Huysmans, Joris-Karl, 1906, Les foules de Lourdes, Paris, P.V. Stock.
  • Jarraud Nathalie et Clarimont Sylvie, 2022. «Lourdes : le tourisme religieux dans la tourmente». Espaces Tourisme et loisirs, avril. https://www.tourisme-espaces.com/doc/10957.lourdes-tourisme-religieux-tourmente.html
  • Jarraud Nathalie et Clarimont Sylvie, 2021, «Lourdes, haut-lieu du tourisme religieux, entre crise et transition ?», Via N°20, décembre. [En ligne], URL: http://journals.openedition.org/viatourism/7909, https://doi.org/10.4000/viatourism.7909
  • Micoud, André, 1994. Des Hauts-Lieux : La construction sociale de l’exemplarité, Paris, CNRS.
  • Morin Edgar, 1976, Pour une crisologie, Communications, Persée – Portail des revues scientifiques en SHS, N° 1/Vol. 25, pp. 149–163.
  • Rinschede Gisbert 1992, “Forms of religious tourism”, Annals of Tourism Research, Vol. 19 No. 1, pp. 51–67.
  • Zola Émile, 1995 [1894]. Lourdes, Paris, Gallimard / Folio.

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Approche différenciée

Dans, et par, cette entrée consacrée à Lourdes, les autrices ne s’interrogent pas sur l’inscription du pèlerinage comme une catégorie du tourisme. Au contraire, l’entrée de l’encyclopédie dédiée au Tourisme considère les pèlerinages comme des mobilités spécifiques et distinctes du tourisme, contrairement à la posture qui ne déconstruit pas la définition mise en avant par l’Organisation Mondiale du Tourisme. Notre intention est de favoriser les réflexions ce qui rend compte de notre choix de publier ce texte consacré à la « cité mariale » des Hautes-Pyrénées. Pour alimenter l’analyse rappelons les arguments qui nous font distinguer les pèlerinages du tourisme, en reprenant le tableau proposé par Philippe Duhamel qui liste les critères de distinction entre les différentes mobilités:

Ill. Les types de mobilités selon Philippe Duhamel (2018)

Pour autant, les mobilités ont des relations entre elles. Ainsi, des expériences proprement touristiques peuvent s’inscrire dans un pèlerinage. Notamment, un voyage à Rome, peut-être saisi par des personnes de religion catholique autant pour mettre en œuvre des rites religieux que pour découvrir les ruines et les monuments hérités, car le touriste, déplacé, reste l’individu qu’il est au quotidien. Nous pouvons ainsi proposer un continuum de pratiques le long duquel des individus différents se positionnent selon le sens qu’ils donnent à leur présence dans un lieu. On peut aussi faire l’hypothèse que la fréquentation répétée d’un même lieu de pèlerinage atténue la dimension religieuse du séjour au profit d’autres ressorts (visite, shopping…). Ceci conduit à regarder concrètement les pratiques effectuées sur place et à ne pas avoir une analyse trop tranchée et dogmatique.
Au-delà, les pèlerinages peuvent s’inscrire comme une étape dans un voyage de plus longue durée, ou constituer la destination principale assortie d’excursions plus proprement touristiques, au cirque de Gavarnie notamment s’agissant de Lourdes.

Jean-Christophe GAY et Philippe VIOLIER