Si quelques auteurs péninsulaires ont fait une incursion dans le genre policer au cours du XXème siècle, tous les spécialistes du genre s’accordent à dire que le polar espagnol est né avec l’avènement de la Démocratie. Manuel Vázquez Montalbán publie Tatouage en 1974 tandis que le dictateur agonise et sa série consacrée au personnage de Pepe Carvalho s’étale tout au long des années de la Transition Démocratique dont elle constitue une chronique désenchantée. Au cours des années 2010, la jeune démocratie espagnole est sévèrement ébranlée. Le krach de 2008 plonge le pays dans une crise économique sans précédent et engendre un mouvement de protestation citoyenne d’une ampleur inédite. Le 15 mai 2011 (15-M), des milliers d’Espagnols se rassemblent en effet sur la place de la Puerta del sol à Madrid, réclamant une « Démocratie réelle maintenant » (Democracia real ya). Le parti politique Podemos, né de ce mouvement citoyen, propose d’en finir avec le bipartisme et la corruption qui ronge les institutions. La fin de règne de Juan Carlos de Borbón y Borbón –imposé par le dictateur avant sa mort– marquée par toute une série de scandales, fait naître chez certains l’espoir d’un retour à la République. Si le polar espagnol, dans sa veine la plus commerciale, semble avoir succombé à la vogue du thriller au cours des dernières années, quelques auteurs, dans la droite ligne de Manuel Vázquez Montalbán, Juan Madrid ou encore Francisco Gónzalez Ledesma, récupèrent le modèle du roman noir pour proposer une lecture critique de l’évolution de la société espagnole contemporaine. C’est le cas, en particulier, de l’écrivain canarien Alexis Ravelo, mort prématurément en janvier 2023 à l’âge de 51 ans. Sa série consacrée au détective Eladio Monroy, publiée entre 2006 et 2021, est profondément marquée par l’effondrement économique de la crise de 2008, l’espoir d’un renouveau démocratique suscité par l’événement du 15-M et la frustration des Espagnols indignés face à l’institutionnalisation et la verticalisation du parti Podemos. L’étude se centrera sur cette série policière, chronique désenchantée de l’espoir déçu d’un renouveau démocratique comparable dans son intensité comme dans ses modalités à celui suscité par la Transition démocratique. Grâce à l’analyse de ces productions, nous tenterons de montrer comment en Espagne, peut-être plus que dans tout autre pays européen, le polar est intimement lié à la Démocratie dont il est à la fois l’un des plus fervents défenseurs mais aussi l’un des censeurs les plus sévères.